vendredi 16 janvier 2015

HAÏTI - Deux siècles de création artistique



Près de cinq ans après le terrible tremblement de terre qui a ravagé l'île d'Haïti, le Grand Palais se propose d'aborder ce petit pays de la Caraïbe de manière autre : par le biais du foisonnement de sa production artistique. Avec la participation de plus de soixante artistes, l'exposition retrace dans une scénographie qui peut laisser le visiteur perplexe de prime abord ( ça part dans tous les sens mais c'est un chaos pourtant volontaire et même organisé selon les dires des commissaires d'expo!) l'histoire de deux cent ans de création artistique.


L'exposition se divise en quatre parties : Santit yo/ Sans titres ( scènes de la vie haïtienne), Peyizaj yo/Paysages, Esprit yo/Esprits (hello les oeuvres inspirées du vaudou, des franc-maçons et de la religion chrétienne) et Chèf yo/Chefs ( ou l'importance du portrait et des représentations de figures politiques dans l'art haïtien). Trois espaces, intitulés Tetatet/Tête-à-tête, se veulent être des dialogues entre deux artistes par le biais de leurs oeuvres.


Les cartels, rédigés en français, anglais et créole haïtien, accompagnent la promenade du visiteur dans cette exposition qui fait la part belle à la pluralité de médiums : dessins, peintures, installations vidéo et audio, sculptures géantes... Empreintes d'une spiritualité omniprésente, symptomatiques de la violence et de la récup propres au pays, les 150 oeuvres feraient presque passer pour modeste le vaste hall du Grand Palais. Certaines m'ont particulièrement marqué tel que celle, dramatiquement merveilleuse, de Edouard Duval-Carrié réalisée à l'aluminium. 



L’Embarquement pour L’Isle-de-France ou le Renvoi D’Erzulie Freda Dahomey, 2014, techniques mixtes sur aluminium, 194 x 291 cm, collection de l’artiste © Adagp, Paris 2014 / Photo Ralph Torres

Les (vrais) crânes humains recouverts de paillettes et de strass du plasticien Dubréus Lhérisson et les fascinants tableaux de David Boyer, Rara Lakay et Krisifye, méticuleusement réalisés avec des produits de récup' (boutons, métal recyclé, matériaux hi-fi) ont aussi attiré mon attention. 
Dans la lignée des artistes Haïtiens de la récupération, Boyer déclare : "tout ce que je trouve à terre dans les rues, à la capitale, je les ramasse ; je les intègre à mes travaux pour devenir des oeuvres d'art".

  Dubréus Lhérisson : sans titre, 2012-2013. Crâne humain , paillettes, objets divers. 15 cm x 11 x 24. Photo José Azor.

Dans cette expo on croise également du Basquiat, pour les grands noms, relié par son père à cette île où il n'a jamais mis les pieds. Hector Hyppolite, le pilier de l'art naïf, et Hervé Télémaque, père de l'art moderne haïtien, à qui sera consacré une rétrospective au centre Pompidou en février prochain.

Jean-Claude “Baby Doc” Duvalier 
(Dictator of Haiti, 1971-86). 2004. 
Metal staples on abandoned wood, 80 x 115 cm. 
Collection of Botkyrka Konsthall, 
Botkyrka municipality, Sweden.

L'artiste Haitiano-suisse, Sasha Huber, a conçu une série retentissante intitulée Shooting Back, dont les portraits exposés des anciens dictateurs Duvalier, Papa Doc et Baby Doc, sont littéralement mitraillés à l'agrafe métallique. Un travail minutieux à la fois très contemporain et néanmoins parfaitement ancré dans l'héritage haïtien des chantres de la récup' ( ce ne sont guère que des agrafes, après tout) et du portrait politique, cher aux artistes H. 

Beaucoup de personnes (moi la première avant cette expo) ont tendance à percevoir l'histoire de l'art haïtien uniquement à travers le prisme de l'art naïf des années 40. Un stéréotype que les organisateurs de l'exposition ont voulu briser  : sortir du cliché qui accole à la première République Noire du monde (1er janvier 1804) tout le champ lexical de la misère et de la malédiction. Présenter par le biais de cette exposition la vitalité de la foisonnante scène artistique contemporaine d'Haïti. Et me permettre à moi, pour qui cette rétrospective résonne de manière particulière du fait que mes parents sont originaires de là-bas, de voir qu'il y a un champ artistique de tous les possibles et qu'il ne se cantonne pas qu'à la production picturale "naïve" pour touristes.